Chère France


On dit souvent du mal de toi. On dit que tu es un peu réac, un peu vieillotte, que tu n’avances pas assez vite, que tu galères pour vivre avec ton temps. C’est même devenu une expression : chère France, selon certain•es, tu es carrément vieille France.
On dit que tu accueilles trop ou pas assez d’étranger•es, que ta capitale n’a de « ville Lumière » que le nom, que tu te raccroches à ta gloire passée comm une grand-mère se teignant farouchement les cheveux pour ne pas assumer son âge. On dit que tu n’es pas assez ceci, trop cela. Que jamais rien ne va.
Chère France, j’aime tes campagnes. J’aime les collines verdoyantes, les vergers qui mûrissent doucement, les hectares de pommes, de poires, de blé, d’orge. J’aime la tranquillité poudreuse de tes chemins dérobés, avec des buissons de mûres et des renards curieux.
J’aime ta faune et ta flore loin d’être banale. Chère France, sur ta métropole il n’y a ni jungle ni fabuleux oiseaux bigarrés, mais il y a les chênes rassurants, les sapins imposants (et les champignons cachés à leurs pieds), le chant des mésanges, l’éclair fauve d’un chevreuil dans les sous-bois.
Il y a l’océan et la mer, les dunes herbeuses jusqu’aux vagues et les galets qui font des ricochets.
Chère France, j’aime tes villes. J’aime la diversité de tes architectures, le contraste tranchant entre la modernité d’un bâtiment innovant et les antiques pavés qui l’entourent.
J’aime ton Histoire, tes histoires, cachées sur un pan de mur, patientant au-dessus de nos têtes, sur les façades et les frontons, n’attendant qu’un oeil curieux pour nous rappeler qu’avant nous, et après nous, il y a des siècles et des siècles.
Que si tu as du mal à te remuer, chère France, c’est aussi parce que tes racines s’enfoncent loin.
Chère France, j’aime ta nourriture. Ah, ça, tu l’avais vu venir.
J’aime ta tradition, tes baguettes qui croustillent, tes croissant qui fondent entre la langue et le palais, tes plats qui réconfortent, tes desserts qui rassurent. J’aime tes innovations, tes ajouts, ta mixité culinaire. J’aime manger un couscous en buvant du Bordeaux, marier une bière blonde à mon plateau de sushis.
J’aime tes étés, car les pique-niques de tes Français•es sont un mélange d’horizons, un joli mariage qui rassasie.
Chère France, j’aime tes gens. Oh, on en dit tant de mal, de tes habitant•es. Qui baragouinent à peine assez d’anglais pour dire « Where is Brian », qui sont malpolis, râleurs, grévistes, fainéants, lubriques et pas très propres.
J’aime regarder tes gens. Dans le métro, dans la rue, au marché, mes yeux papillonnent, vagabondent.
Sourient quand un jeune homme au jean troué laisse sa place à une vieille dame en fichu lilas. S’écarquillent quand le chamarré d’un sari éblouit une foule grise. Suivent la valse gracieuse d’une femme en tailleur sur sa longboard.
Chère France, je trouve qu’on te résume un peu trop, un peu trop vite et un peu trop souvent.
Quand je me suis cassé la cheville, avec 200€ sur mon compte en banque, c’est toi qui m’a soignée, chère France, et qui m’a dorlotée pour que je ne me préoccupe que de ma guérison. Quand mon loyer est devenu trop cher, mes frais de transport trop élevés, c’est toi qui m’a aidée.
Et quand j’ai envisagé de partir, c’est toi qui m’a souri, me disant que de toute façon, je pouvais revenir quand je voulais.
Je ne suis jamais partie. J’ai un peu peur de te quitter, chère France, pour plus qu’un peu de vacances. J’ai peur que tu ne me manques trop. Et je t’aime, surtout.

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